À PROPOS
Il y a très longtemps, une femme m’avait pourtant dit qu’il fallait être masochiste pour écouter de la musique, en ajoutant, sans permettre la réplique, que la musique qui ne fait pas pleurer n’est pas bonne. Et que pleurer, c’est faire venir le chagrin dont nous n’avons aucunement besoin, celui qui chute sur les corps sans motif, ni crier gare. Le pire. Sans raison ni support. Quand on lui répondait qu’on pouvait danser sur une musique, que la joie enlaçait les mêmes corps lorsqu’elle était joyeuse, que les rondes enfantines existaient pour la contredire, elle tournait le dos. Je ne sais si elle souriait ou si elle était contrariée.
Puis un jour, alors qu’elle me prenait le bras, sur un trottoir de Paris sur lequel nous nous promenions, ce geste qui m’enchante, elle m’a dit, en citant Cioran, que “la musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur”. Elle avait du chercher en ligne l’une des citations de ce mauvais coucheur qui s’amusait à lamenter le monde. J’a ,i soufflé de dépit et c’est à cet instant même de ce souffle désolé que j’ai trouvé ma réponse, jamais répétée à quiconque, que j’écris cependant dans la présentation de mon mini-site “musique”, qui s’ajoute aux autres : la musique n’est pas un refuge, mais plus simplement une respiration. Le corps est “pneumatique”. Il a ses respirations physiques et les autres qui s’y ajoutent et sans lesquels il étouffe assez lentement. Quand un de ces “airs” disparait, il est déjà un disparu. J’ai cru voir la femme prodigieuse, qui m’avait lâché le bras, avait déjà tourné le dos, sourire. C’était une femme prodigieuse. Ce site lui est dédié.
PS. ON NAVIGUE DONC DANS LE MENU ORGANISÉ SELON LES STYLES (JAZZ, CLASSIQUE, VARIÉTÉS) ou des “SPECIALES”; Tous les fichiers sont téléchargeables par un clic sur le pictogramme nuageux ou un bouton adéquat, selon le format de la liste.

Il s’agit d’un emprunt, par mes proches, de ma musique, acheté très légalement, non marchande, et dont les titres peuvent donc être écoutés, aptes téléchargement, hors ligne, sur un trottoir ou une plage.

GLOBAL LIST
JE DONNE ICI, PRESQUE EN APÉRITIF, UNE PLAYLIST, DES MORCEAUX QUE J’AIME BEAUCOUP AVANT DE PROPOSER UNE COURTE LECTURE D4UN EXTRAIT D’UN OUVRAGE D’UN PHILOSOPHE (FRANCIS WOLF) sur la musique
FRANCIS WOLF, POURQUOI LA MUSIQUE ?
Suite. Ça peut être long, mais à vrai dire, je voulais, pour introduire ce site coller quelques pages du bouquin de Francis Wolf, immense philosophe contemporain, qui nous a donné déjà un merveilleux livre sur l’histoire de cette philosophie occidentale qui (ici c’est moi qui parle) a le mérite de ne pas laisser les âmes vagabonder entre un tapis de yoga et un fromage de brebis organic et se perdre hors de la raison toujours à effriter (le but de la, philosophie de l’Ouest). Son bouquin est remarquable. Comme celui sur l’amour, un peu défait.

Ce “Pourquoi la musique est un objet non identifié, navigant entre la question et son vide. Il faut le lire.
Je livre ici un long, long extrait. On peut passer et aller dans le menu en disant à un interlocuteur que la musique n’a pas besoin de mots.,la femme prodigieuse le dirait. Musique sans mots sur son existence initiée par les amants goujats des malheurs et des pleurs.
Tentez, néanmoins de lire Francis Wolf.
La musique est l’« art des sons ». C’est l’art qui rend les sons autosuffisants. Mais cela ne nous dit pas pourquoi elle nous fait danser, chanter, pleurer. Ni pourquoi, partout où il y a des hommes, il y a de la musique.
Imaginons en effet des créatures d’une autre planète, qui seraient en tous points comme nous – corps, esprit, langage, société, etc. – à ceci près qu’elles ne connaîtraient pas de musique. Elles seraient amusiques. Imaginons-les venant nous visiter, nous observer et tenter de comprendre, en anthropologues, pourquoi, chez nous les hommes, il y a de la musique. Nous aurions beau leur expliquer que, la musique étant l’art des sons, elle représente un ordre sonore d’événements purs, ils ne seraient guère avancés : à quoi bon tous ces sons étranges qui sortent de vos engins et de vos gosiers ? nous demanderaient-ils. Le langage ou les images ne sont-ils pas des moyens plus simples et plus directs pour communiquer ou pour représenter ? Il faudrait alors leur confesser : « Si, chez nous, il y a de la musique, c’est que ça nous fait quelque chose. » Perplexité de nos extraterrestres amusiques : « Quoi donc ? » Et leurs ethnologues, munis d’un carnet de notes et d’une honnête méthode d’observation participante, parcourraient notre planète à la recherche d’informateurs susceptibles d’éclairer ces étranges phénomènes. Comment se fait-il que, en entendant une bourrée auvergnate, les hommes et les femmes s’agitent ensemble, visiblement hilares ? Comment expliquer que les jeunes de votre planète écoutent sur leurs dispositifs audio des suites de sons qui ne veulent rien dire mais qui leur font balancer la tête en souriant, l’air ailleurs ? Mais où ? Pourquoi les êtres humains, réunis dans de grandes salles fermées, écoutent en silence ce qu’ils appellent des « concerts » – c’est-à-dire des sons de toutes sortes mélangés de toutes manières et issus d’instruments sophistiqués visiblement conçus à ce seul effet ? Le fait est qu’ils ont l’air d’aimer cela puisqu’ils manifestent à la fin bruyamment leur enthousiasme. Qu’est-ce que tout cela peut leur faire ?
Alors, à défaut de pouvoir d’emblée leur expliquer pourquoi ça nous plaît et comment ça nous émeut, nous autres humains, ces sons mis en cet ordre, nous pourrions commencer tout simplement par leur lister quelques-uns des plaisirs qu’ils nous donnent. Nous leur tiendrions à peu près ce langage.
Le premier et le grand plaisir de la musique, c’est d’en faire, dirions-nous. Avant d’être un acte contemplatif, une écoute ou un spectacle, un art chez nous est d’abord un savoir-faire. Avant le plaisir du concert ou du disque, il y a pour l’enfant le ravissement de produire un rythme avec ses mains et ses pieds. Et le babillage est autant la satisfaction de s’essayer aux sons qu’à s’initier au sens. Avant le mp3, avant le disque, avant même le concert, il y avait la musique de chambre pratiquée entre amis ; encore avant, il y avait le chant et les danses des jours de fête, la flûte et les tambours à la veillée ou dans les banquets. La musique existe pour être faite avant d’être faite pour être entendue. On éprouve un plaisir plus intense à jouer, mal, une fugue de Bach au piano qu’à l’entendre bien jouée par les meilleurs interprètes, ne serait-ce que parce qu’en la jouant soi-même, on la comprend infiniment mieux, on en perçoit plus distinctement les différentes voix, on entend ce qu’on n’arrive à rendre que maladroitement, comme un acteur comprend à force de lectures les mille nuances d’une réplique dont il ne peut traduire qu’une faible partie. (Il est vrai aussi que certains interprètes nous permettent de découvrir des aspects d’une œuvre que nous n’avions jamais entendus.)
Mais la musique nous plaît souvent à être simplement écoutée.
Il faudrait faire la part des plaisirs extrinsèques, ceux dont la musique n’est que la cause occasionnelle. Les émotions négatives d’abord : la détente qu’elle est chargée d’apporter aux passagers qui s’installent dans la cabine de l’avion ou l’excitation qu’elle procure, à leurs corps défendant, aux chalands des grands magasins pour mieux les disposer à l’achat.
Il y a les émotions positives qui relèvent des sympathies fédératives : les vibrations vécues en chœur (les grands rassemblements des concerts de rock, les défilés de musique électronique), la reconnaissance empathique de sa communauté d’appartenance dans un langage musical (le rap, les musiques « celtiques », etc.) ou dans certains morceaux (un hymne national ou international, un chant des partisans, etc.), le sentiment de puissance collective que l’on éprouve à chanter à tue-tête dans un groupe de rencontre, à prier de conserve à l’office, ou à marcher du même pas joyeux au-devant de la mort en chantant. La musique fonctionne alors comme marqueur d’identité ou comme instrument d’identification ; l’émotion qu’elle suscite se confond avec cette impression dont elle est à la fois l’effet et la cause : « cette musique, c’est nous ! ». J’existe dans et par ce « nous » dont j’entends bien dans la musique qu’il est plus fort que « moi ».
Extrinsèques encore, il y a toutes ces associations subjectives qui pénètrent en nous par les voies impénétrables de la mémoire involontaire. Il est difficile de distinguer l’émotion que nous éprouvons à entendre telle musique des émotions qui relèvent des circonstances personnelles dans lesquelles nous l’entendons, ou, plus encore – tant la musique est affaire de répétition – du contexte dans lequel nous l’avons entendue la première fois et qui en surdétermine chaque nouvelle écoute. « … Ce fameux adagio que j’ai entendu autrefois à Vienne lorsque j’étais enfant. » Ces émotions, fugaces ou tenaces, associées à des morceaux de vie, sont forcément privées. Elles ne sont pas dans la musique. Elles obéissent aux mêmes mécanismes de l’éveil nostalgique que toute autre expérience sensorielle vécue, qu’elle relève de l’art ou de la vie, à cela près que la musique, liée comme elle est à la mémoire, se prête, mieux encore que le goût des madeleines trempées dans le thé ou que la sensation des pavés inégaux dans la cour de l’hôtel de Guermantes, à ces affects indistincts dans lesquels le passé s’invite au présent.
(Et moi-même, dirais-je, je ne peux entendre « Der Lindenbaum » (« Le tilleul ») du Voyage d’hiver de Schubert sans que les larmes me montent aux yeux. Est-ce parce que ma mère me le chantait en allemand quand j’étais enfant et que je l’écoutais avec un mélange de plaisir, parce qu’elle me le chantait, et de peine, parce qu’elle chantait faux ? Ou est-ce à cause de la beauté si simple de ces quelques mesures initiales ? Et il m’est arrivé d’éclater subitement en sanglots en entendant « Au-devant de la vie », chantée par la Chorale populaire de Paris du Front populaire (« Debout ma blonde, Chantons au vent, Debout amie, Il va vers le soleil levant, Notre pays »). Est-ce parce que j’entends son insouciante joie martiale comme déjà assombrie par la catastrophe qu’elle semble irrésistiblementf annoncer ? Ou est-ce à cause de la perfection de cette mélodie faite de trois bouts de ficelle dont j’ai découvert tardivement qu’elle était due au génie de Chostakovitch ?)
Il est ainsi difficile de distinguer ce qu’il y a dans la musique et ce qu’elle a signifié pour nous. C’est pourquoi on prétend parfois qu’elle serait incapable de susciter d’autres émotions que celles dont la source obscure gît dans la singularité contingente et insignifiante de nos existences ou de nos goûts.
Encore extrinsèques à la musique, plus troubles et parfois plus intenses que ceux qu’elle nous donne par elle-même, il y a tous ces plaisirs liés aux conditions objectives de sa réception : l’excitation due au cadre du concert et à son rituel (comme le flacon de cristal et les gestes de l’œnologue exaltent le goût du vin), la douce appréhension du live, la joie de l’événement, la fierté d’en être, la fièvre de pouvoir entendre la musique connue en train de se faire ou de voir enfin « la » vedette en chair et en os.
Plus proprement musicales, et en tout cas esthétiques, il y a toutes ces émotions liées au mariage de la musique avec ses « autres » dans lesquelles il est difficile de faire la part qui lui est propre. Car lorsqu’elle s’unit parfaitement avec un autre art – le cinéma, la danse, la poésie, le théâtre – les émotions musicales fusionnent avec celles que nous donnent le film, le ballet, la chanson ou l’opéra, chaque moyen d’expression s’avérant capable de magnifier les autres au sein de l’œuvre totale. Ainsi, les paroles d’une « chanson d’amour » réussie nous touchent, alors même que, sans la musique, les mêmes paroles nous sembleraient plates ou mièvres. Telle est la secrète alchimie des alliages heureux. Jusqu’au paradoxe : plus un opéra est accompli, plus forte est l’émotion que nous ressentons à sa musique, à la musique elle-même, et moins pouvons-nous la distinguer de celle que nous donne le livret. C’est comme si la musique et le théâtre, aussi étroitement unis l’un à l’autre qu’ils peuvent l’être (dans les Noces de Figaro de Mozart par exemple), étaient assez modestes, ou assez épris l’un de l’autre, pour ne pas vouloir prendre le dessus dans l’émotion qu’ils nous offrent, comme un ténor et une soprano s’efforçant dans un duo de ne pas chanter plus fort que l’autre.
On pourrait encore énumérer d’autres émotions dont la musique n’est que la cause occasionnelle.
Cependant, nos visiteurs amusiques auraient tout lieu de demeurer perplexes. Il faudrait donc arriver à l’essentiel et leur dire finalement ceci.
Oui, il y a des plaisirs propres à la musique, des plaisirs qu’elle seule recèle. Oui, nous éprouvons des émotions musicales. Et cela même peut se déduire de ce que sont pour nous les sons. Tout son nous informe sur ce qui arrive. Mais ce n’est pas une information qu’il nous suffirait d’enregistrer comme un ordinateur dans notre base de données sur l’environnement. Quand quelque chose se passe, ça nous fait quelque chose. Et c’est pourquoi l’univers sonore est d’emblée un espace émotionnel. La musique nous plonge dans un monde imaginaire mais sonore. C’est donc un monde d’émotions, puisqu’il est sonore ; mais c’est un monde d’émotions épurées puisqu’il est imaginaire.
S’il y a de la musique pour nous, êtres humains de cette planète, c’est d’abord par ce qu’elle nous fait. Elle nous touche. Et ceci à son tour, s’entend en deux sens : littéral ou figuré.
Littéralement la musique touche notre corps (chap. 1).
Métaphoriquement elle nous émeut, elle touche notre esprit (chap. 2).